La danse du paon

Le projet de Loi sur les retraites arrive en discussion au Sénat. La séquence devrait être plus tranquille pour le gouvernement car ni LFI, ni le RN ne sont présents à la Haute assemblée. On devrait même assister à la danse du paon de la majorité devant les LR sans lesquels ce projet serait définitivement privé de toute onction démocratique. E Macron peut-il se permettre sur un texte qui touche directement à la vie de chacun, au devenir des jeunes générations, de se passer d’un vote de la représentation nationale? Notre système démocratique en sortirait probablement un peu plus couturé encore.

Pas de doute, il faudra bien trouver le moyen de financer les pensions de tous ces retraités qui s’obstinent à vivre plus longtemps et en bonne santé, un récent rapport scientifique en atteste. Sur ce constat, il ne devrait pas y avoir débat. (et pourtant ça se chamaille dur un peu partout) La vraie question,  c’est comment on fait si l’on veut à la fois conserver un système par répartition, réduire les inégalités de carrière (femmes/hommes entre autres, mais pas que…) prendre en compte la pénibilité, les emplois précoces, les vies hachées et en finir avec cette hérésie bien française, dans ce pays de l’Egalité proclamée, qui s’appelle les régimes spéciaux.

On nous annonçait une ambition forte, un projet fondateur, une société civile réconciliée parce que consultée et écoutée. Hélas, ce projet de loi, marqué dès l’origine du signe 65, transformé en 64,  ressemble de plus en plus à la campagne de Russie de Napoléon. J’essaie de rester à la page sur la question, mais j’entends un porte parole du gouvernement me dire que la loi est terriblement complexe, comprenez « ne cherchez pas à comprendre »… Et pourtant on aimerait bien, moi en tout cas, comprendre pourquoi on nous annonce un jour « pas de pension à moins de 1200 euros » pour découvrir épisode après épisode, comme dans un mauvais feuilleton, que ce seuil ne concerne pas tout le monde, que les femmes seraient moins concernées que les hommes, qu’évaluer le nombre de bénéficiaires est tâche ardue, mais qu’il seront bien 40000 foi d’Olivier, pour découvrir dans une lettre signée par le ministre du travail que tout compte fait, ils ne seraient plus que 10000… C’est à dire rien!. Remballez vos calicots! Et que dire de cet indice « seniors » qui ressemble de plus en plus au gadget du regretté Pif, et que dire de ces carrières longues, de ces travailleurs précoces, de ces femmes qui de l’aveu du gouvernement ne parviendront pas, au temps de la retraite, à se hisser à la hauteur des hommes, des autres… Oui que dire de tout ça, sauf que cette loi doit être comprise pour ce qu’elle est: un allongement à peine corrigé à la marge, de la durée de cotisation, avec un âge couperet. Une opération comptable, paramétrique disait-on en 2019 quand on rêvait CFDT comprise d’une réforme systémique. A propos de système, il parait (Olivier Verant dixit) qu’ il n’y a pas urgence sur les régimes spéciaux!

L’ébullition permanente

Dans la rue, dans les entreprises, la marmite sociale boue à gros bouillons tandis que l’Assemblée nationale perd ses nerfs. Bien difficile de prévoir comment va se terminer la séquence retraites!

Apparemment stoïque, E. Macron attaque une nouvelle réforme, celle des institutions. Et semble vouloir se pencher sur le cas des régions… Grrr!

Dans ce pays où nous ne sommes jamais d’accord sur rien, où le sens de l’intérêt général fond comme neige au soleil, peut-être pourrions-nous nous accorder sur un point, essentiel à mes yeux : il faut pérenniser notre système de retraites par répartition, hérité de la Résistance et garantissant un minimum de solidarité entre tous les travailleurs. L’autre système c’est la capitalisation, le contraire d’un système solidaire, où chacun dans son coin ferait ses petits arrangements, et par la même occasion le bonheur des fonds de pension. Pour la plus grande gloire d’un capitalisme affairiste !

Ceci posé, notre système par répartition est-il menacé ? Le COR, le Conseil d’orientation des retraites, dit qu’il n’y a pas tout de suite péril en la demeure, mais que demain risque d’être plus difficile. En clair, il y aurait du déficit dans l’air. Or, on ne sait pas comment vont évoluer les ressources du système et c’est bien l’objet du débat. On sait en revanche que la France vieillit, que la durée de vie des Français s’allonge. On vit plus longtemps et en bonne santé qu’avant. On sait donc qu’il y a de plus en plus de pensionnés alors que le nombre de cotisants ne suit pas la même courbe. Ça c’est la démographie qui le dit et c’est incontestable.

Nous sommes donc devant une difficulté, à moyen terme, qui consiste à augmenter les ressources pour faire face à ce déséquilibre structurel que les réformes Balladur, Juppé, Fillon, Woerth, Touraine n’ont que momentanément comblé. Que faire donc ? Augmenter les cotisations patronales ? C’est ruiner les efforts pour rendre nos entreprises plus compétitives. Augmenter les cotisations salariales ? C’est manger un peu plus du pouvoir d’achat des salariés en ces temps d’inflation débridée. Taxer les super profits ?  Oui, pour financer des investissements lourds, dans divers domaines comme la santé, l’école, le changement climatique. Mais pas pour financer le système des retraites qui doit demeurer contributif, c’est à dire l’affaire du monde du travail. Demander à l’état de mettre la main à la poche ? C’est tomber dans le même piège, écorner le système et priver en partie les partenaires sociaux de la responsabilité de gestion.

20 fois sur le métier…

Alors ? Qu’on le veuille ou non, il faudra bien que les principaux concernés, c’est à dire nous tous, consentions quelques efforts qui doivent être justes et proportionnés. Dès lors l’allongement général et progressif de la durée de cotisations paraît inéluctable. Il faut aujourd’hui 172 trimestres pour bénéficier d’une retraite à taux plein pour ceux nés en 1973, et seulement 166 trimestres pour ceux nés en 1955. Dans ce cas, dans le système, une personne qui aurait commencé à travailler à 18 ans, et qui pourrait partir à 59 ans et 6 mois, devra attendre 62 ans pour une pension à taux plein. Une autre qui serait entrée dans le monde du travail à 26 ans, ne pourrait pas partir avant 67 ans. On voit bien à travers de ces deux exemples que la fixation d’un âge de départ pénalise plutôt les « jeunes travailleurs ». Qu’en serait-il si on recule encore plus loin cette échéance ?

Quelques principes

Il faut en convenir, le dossier est d’une complexité folle. Mais pour s’en tenir aux grands principes, le système doit pouvoir gommer les conséquences d’une entrée précoce dans la vie active, comme il doit mieux prendre en compte la pénibilité, les carrières hachées, les congés maternité et parentaux. Il doit porter une triple exigence : justice, liberté, responsabilité. Par ailleurs, la fixation d’un taux de pension minimum pour une carrière complète ou compensée paraît nécessaire, ainsi que la disparition des régimes spéciaux propres à des corporations, qui pour la plupart équilibrent leurs comptes avec l’aide du régime général et de l’état. On nage en plein anachronisme !

En 2019, E Macron a dû retirer sa réforme des retraites, qui apparaissait alors comme plus ambitieuse, parce qu’universelle, et plus juste. On parlait de réforme systémique, à savoir un changement profond de notre système par répartition. La complexité de l’affaire, les oppositions du monde politique et du travail (à l’exception peut-être de la CFDT) et l’advenue de la crise COVID ont eu raison du projet. Cette fois, E Macron a cru bon de faire en apparence plus simple. Mais l’introduction du paramètre d’âge de départ a brouillé totalement le message, réduisant le texte à cette disposition que les Français ressentent comme un chiffon rouge.

Et maintenant les Régions…

Autre réforme avortée lors du premier quinquennat : la réforme des institutions. Bloquée d’entrée de jeu par l’opposition du Sénat. Mais comme disent tous les bons latinistes, « bis repetita placent » et voilà que l’Élysée rouvre ce dossier. On en est pour l’instant au stade des consultations des représentants des grandes institutions de la République et par le biais de transpirations finement dosée, on tente de sonder les médias et l’opinion. Voilà que revient dans le débat l’instauration d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives, le retour du septennat ou encore la diminution du nombre de députés, voire de sénateurs. On réfléchit paraît-il intensément chez les conseillers du Président au comment réconcilier les Français avec leur système démocratique. Comment rapprocher le citoyen des institutions ?

Et voilà que revient la question des Régions. Sous la présidence de F Hollande, elles avaient été regroupées, fondues au sein d’entités plus importantes qu’on disait nécessaires pour tenir notre rang dans une Europe où les landers allemands et les Communautés espagnoles servaient de comparaison. C’est ainsi que naquit l’Occitanie, fusion du Languedoc-Roussillon et de Midi-Pyrénées, soit 13 départements et deux capitales Montpellier et Toulouse. L’entreprise fut difficile, les obstacles et les résistances nombreuses. Le travail d’intégration fut long et coûteux, au point que la Cour des Comptes s’était alarmée dans un rapport des frais de fonctionnement de la région.

Si loin, si proche…

Mais, en tant que membre du CESER (le Conseil économique, social et environnemental régional, la deuxième assemblée du territoire) je peux attester que cette séquence est derrière nous. L’Occitanie existe. Elle a réconcilié l’histoire et les temps modernes. La région est une réalité concrète, palpable dans tous les territoires, de la Lozère au Pyrénées orientales, du Gard au Tarn et Garonne. Sa présidente Carole Delga est donc fondée à s’inquiéter des rumeurs sur un détricotage de cette organisation. Elle n’est pas seule, son voisin, Alain Rousset, président la région Nouvelle Aquitaine est lui aussi monté au créneau.

On les comprend. Outre le fait que ces grandes régions sont aujourd’hui pleinement opérationnelles, leur démantèlement ouvrirait une nouvelle période de confusion au sein de l’ensemble des collectivités territoriales et conduirait inévitablement à de nouvelles dépenses, et à de dispendieux arbitrages. Peut-on, doit-on se payer ce luxe ? Certainement pas. L’argent public est mieux employé quand il sert des investissements (par exemple sur la transition énergétique et le changement climatique).

Pour autant, le millefeuille français, l’empilement des structures territoriales ne vont pas sans poser quelques problèmes. Le maintien des Conseils départementaux demeure une des questions de l’heure susceptible de remettre au goût du jour la fonction de conseiller territorial, personnage bicéphale, siégeant au sein de l’instance régionale et représentant de son département. La proximité avec les citoyens n’y perdrait pas et l’efficacité y gagnerait probablement. Bien sûr, tout ceci n’est encore que spéculations. On aura donc l’occasion d’y revenir.

MAJ, MCV… ça déboise tous azimuts

IMAGE 2023-02-10 14:20:48MAJ (Moissac animation jeunesse) a définitivement mis la clé sous la porte après une trentaine d’années de présence auprès des jeunes du territoire. Ainsi en a décidé à l’unanimité l‘assemblée générale des adhérents qui n’a pu que constater que l’association n’était plus en mesure de poursuivre ses activités. Et pour cause. Le maire RN de Moissac a décidé de supprimer la subvention municipale qui représentait à elle seule 40% du budget de MAJ. Malgré les subventions maintenues du CD, de la Région et de la Communauté de communes, la situation devenait ingérable. Les huit salariés dont plus de la moitié sont pour des raisons diverses en arrêt de travail vont donc émarger dorénavant à Pôle emploi, l’association étant mise en liquidation judiciaire. A vrai dire, la situation financière de MAJ s’était considérablement dégradée ces dernières années à la suite d’une gestion hasardeuse et d’une profonde crise au sein de l’équipe d’animation, des différents qui pour certains sont encore instruits par la justice. La nouvelle équipe de direction ne pouvait dans ces conditions redresser la barre sans un soutien franc et massif de la municipalité. Le maire n’a jamais fait mystère de son objectif : tailler dans le gras des associations qui ne sont pas à sa botte et plus généralement contrôler en réduisant leur périmètre, les politiques sociales. C’est ainsi que de toutes les activités de MAJ, ne reste à ce jour que l’animation pour les 11-15 ans pilotée désormais par la mairie. Tout le reste est passé à la trappe, vidant du même coup la Maison de l’Emploi et de la Solidarité transformée ces derniers temps, pour reprendre l’expression d’un habitué, « en véritable bunker ».

En fait, pour le RN municipal, toutes les occasions sont bonnes. Il continue ainsi le grand ménage au sein du monde associatif. Depuis l’élection de 2020, il n’a eu de cesse de réduire les subventions aux associations ou aux formations qui n’étaient pas dans la ligne du parti. Reprise en main du secteur social, CCAS, MAJ et j’en oublie. Attaques en règle contre le secteur culturel et les acteurs qui en faisaient la richesse : Arène Théâtre, Pour un espace Firmin Bouisset, MCV qui restera comme un cas d’école dans ce département…

Le cas MCV

MCV (Moissac culture vibrations), le Festival des voix et des Mondes que l’association portait et dont la qualité et le rayonnement faisait honneur à la ville ont très vite été mis à l’index par le maire. Contrainte de trouver un nouveau port d’attache, à Saint Nicolas de la Grave, l’association MCV, devenue Mouvement des cultures vivantes n’a pas survécu à l’exil. Elle vient elle aussi de fermer boutique. Et pourtant, elle tentait l’impossible pour faire vivre dans ce département qui ne brille pas par ses initiatives culturelles, des lieux et des moments ouverts à la diversité musicale. Cette fois c’est le Conseil départemental qui a signé son arrêt de mort, la gauche PRG/PS achevant le travail du RN en refusant la subvention de 20000 euros, demandée par l’association qui avait pourtant revu ses ambitions à la baisse.

Certains de nos édiles tarn-et-garonnais auraient-ils un problème avec une certaine idée de la culture ? Sera-t-elle, à ce rythme bientôt passée par pertes et profits, au point de sacrifier ce qui fut l’un des dadas de JM Baylet, quand il était président du Conseil départemental ? Ainsi à Négrepelisse, La cuisine, centre d’art et de design, qualifié en 2004 par la presse locale de « centre unique en Europe » vient de ranger ses casseroles. Il est vrai que le concept n’a jamais totalement convaincu le public. Mais tout de même… Avant de couper les têtes, ne fallait-il pas, ici et là,  avec les premiers concernés, les porteurs de projets, faire évoluer les propositions culturelles ?  Faut-il dès lors s’inquiéter pour l’avenir de Belleperche ? Montauban va-t-elle faire figure d’oasis dans un désert culturel?

Retraites: le casse-tête

Il s’appelait Michel Rocard, socialiste revenu des utopies de l’extrême gauche. Premier ministre de F Mitterrand, il fut en 1991 à l’origine du Livre blanc sur les retraites, qui annonçait des lendemains difficiles pour notre bon vieux régime par répartition. Le chômage était alors de 9,2%.  « Même avec des hypothèses économiques favorables au plein emploi, les régimes de retraite connaîtront des problèmes de financement à partir de 2005 » prophétisait le rapport. Visionnaire ! Mais il venait d’ouvrir la boîte de Pandore.

C’est en 1946, aux lendemains de la Libération que le ministre du travail, le communiste Ambroise Croizat, met en place la Sécurité sociale : « Nous ferons de la retraite non plus une antichambre de la mort mais une nouvelle étape de la vie » C’est en fait un ex-leader Cégétiste, René Belin, ministre de Pétain en 1941, qui avait jeté les bases d’un système de retraite par répartition.

Ainsi, de 1946 jusqu’au brûlot rocardien, la retraite était une affaire entendue, un acquis social que les « Trente Glorieuses » avaient installé dans l’éternité. Le désenchantement n’en fut que plus brutal. S’ouvrait avec le livre blanc de Rocard l’ère des incertitudes. La montée d’un chômage de masse, la démographie, le vieillissement de la population changeaient progressivement la donne.

 Que disait le plan Rocard?  cliquez ici

De gauche comme de droite, les successeurs de Michel Rocard ont été confrontés au problème de l’équilibre de notre système. A quelques rares exceptions près, ils ont dû faire face à une hostilité plus ou moins forte de leurs opposants politiques, mais surtout de l’opinion et des syndicats

Trente ans de réformes de combats` cliquez ici

Au cours de son premier quinquennat, Emmanuel Macron a voulu changer en profondeur ce système dont, quoiqu’on en dise, et malgré les réformes successives, la pérennité n’était plus garantie, un système qui demeurait de surcroît injuste et inégalitaire. C’était tout l’enjeu d’une réforme systémique. La mobilisation de la société et l’urgence COVID ont eu raison de ce projet qui se présentait pourtant comme une révolution copernicienne.

Car on peut toujours ergoter sur les conclusions du COR (le Conseil d’orientation des retraites) mais le problème mis au jour en 1991 est là. Il demeure d’une brûlante actualité. Les évolutions de notre société, allongement de la durée de vie en bonne santé, diminution du nombre d’actifs cotisants, meilleure prise en compte des carrières hachées, celles des femmes notamment, des accidents de la vie, des métiers pénibles obligent à une réévaluation régulière de nos dispositifs. Les retraites deviennent un problème cyclique et on peut parier que l’actuel projet, serait-il in fine mis en route, sera suivi dans quelques années d’une nouvelle réforme. Sic transit gloria mundi !

L’enjeu, aujourd’hui comme hier, c’est de faire durer et d’améliorer notre système par répartition, dont nous sommes si fiers. C’est donc de veiller d’abord à équilibrer les comptes pour dispenser l’état d’y contribuer et lui permettre en même temps de concentrer ses efforts sur d’autres secteurs, santé, éducation, défense nationale, justice et bien sûr action climatique, dont on voit bien aujourd’hui qu’ils demandent des moyens considérables. Pour atteindre l’équilibre et améliorer la situation des retraités, il n’y a pas trente-six solutions. L’état peut augmenter les impôts des particuliers et des entreprises (on a déjà un des plus forts taux d’imposition de l’OCDE). Il peut augmenter les cotisations, diminuer les pensions mais dans les deux cas quid du pouvoir d’achat des ménages ?  Le gouvernement a choisi une autre voie. Son modèle économique repose sur deux piliers :  le retour prochain au plein emploi qui augmenterait considérablement le nombre de cotisants et donc les ressources du régime et l’augmentation graduelle de la durée de cotisation tout en retardant l’âge légal de départ à la retraite. C’est indolore en termes de pouvoir d’achat. C’est ce qu’on appelle une réforme comptable, paramétrique pour parler HEC. Mais quand le dispositif proposé se double de mesures sur la pénibilité, les carrières longues, les carrières hachées, l’accompagnement des séniors, la fin des régimes spéciaux, quand il propose une pension minimum égale à 85% du SMIC pour toutes et tous, quand il ne change pas la date butoir de 67 ans, départ à taux plein, il améliore le système, le rend plus juste, plus égalitaire, il esquisse une réforme systémique. Il s’inscrit dans la continuité de la réforme portée en 2014 par la socialiste Marisol Touraine, soutenue alors par les syndicats réformistes.

Comment comprendre que le projet présenté par Elisabeth Borne et d’Olivier Dussopt concerté, négocié des mois durant avec toutes les forces vives du pays, soulève une telle bronca? Comment comprendre les propos de Jean Luc Mélenchon qui voit dans cette réforme le tapis rouge déroulé devant les fonds de pension, l’advenue d’un système par capitalisation ? Comment comprendre cette levée de boucliers alors que le débat parlementaire n’a pas commencé et qu’on ne connaît pas la mouture finale de ce projet ?

Peut-être que la clé de l’énigme s’appelle Macron, la bête noire d’une gauche, avec laquelle l’extrême droite fait chorus, qui en a fait le président des riches et ne lui rend grâce de rien, pas même sur le quoi qu’il en coûte. Faut-il pour autant désespérer ? Non !

La santé bat en retraite

Bien sûr il y a la question des retraites. Faut-il retarder l’âge de départ, allonger la durée de cotisations, chambouler le système pour le rendre plus juste, plus simple ? Faire une réforme systémique ou simplement une réforme paramétrique, en clair une réforme comptable ? Bien sûr il y a la question des indemnités de chômage, que le gouvernement veut adapter à la situation de l’emploi, à la réalité économique du pays. Ces deux volumineux dossiers, régulièrement réouverts et jamais réellement refermés, suffiraient à eux seuls à plomber l’ambiance de ce début d’année. Syndicats et oppositions en ont fait leur cheval de bataille et promettent, si le gouvernement s’obstine, de mettre le peuple dans la rue et le pays en panne.

La nouvelle année commence donc sous d’inquiétants auspices, annonçant un pays déchiré, cambré dans le refus aveugle de toute réforme, incapable de faire face, collectivement, aux défis redoutables que la pandémie Covid, la guerre à nos portes, et le grand chamboulement des économies mondialisées viennent de nous imposer. On pourrait en prendre son parti, s’y résigner une fois encore voyant dans cette rébellion rampante la manifestation de l’esprit français. Certes ! Mais le malaise semble plus grand, plus profond, plus générationnel diraient les sociologues.

Il a un nom : l’individualisme. Un individualisme forcené qui met aujourd’hui à mal le fragile équilibre de la société. Je n’évoque que pour l’anecdote l’explosion des revendications catégorielles, des colères plus ou moins justifiées de boutiquiers. Dans les télés et sur les réseaux sociaux, c’est quotidiennement le grand débondage. Tout n’est plus que cris et énervements. Menaces et chantages. Les lois, les accords souvent laborieusement tricotés entre partenaires sociaux sont foulés au pied par ceux-là même qui les avaient réclamés et obtenus. Qu’on se souvienne de la grève des raffineries alors qu’un accord majoritaire censé régler le conflit social avait été signé !

Voilà un pays qui affiche encore un chômage conséquent quand les entreprises, tout secteur confondu, ne trouvent personne à embaucher. Paradoxe français ! Conditions de travail, rémunérations insuffisantes, efficacité de notre protection sociale, les raisons invoquées sont multiples et contradictoires, mais ne suffisent pas à expliquer le phénomène. La situation de notre système de santé, sa médecine libérale en sont l’illustration caricaturale. Nos hôpitaux sont au bord de l’asphyxie. Congés maladie en rafale, démissions par paquets, les postes vacants ne se comptent plus. Le Ségur de la santé qui a mis sur la table plus de 17 milliards pour améliorer l’ordinaire des soignants n’a pas inversé le cours des évènements. Où est le problème ? Faut-il chercher des solutions locales, s’affranchir de règles trop rigides parce que nationales ? Et comment articuler cela avec un plan d’ensemble revendiqué à cor et à cris par ces professionnels ?

En attendant, l’hôpital crève de soif au sein de véritables déserts médicaux. Le monde rural n’est plus le seul concerné. Les villes découvrent le problème. Les médecins libéraux, qui avaient érigé le numérus clausus en muraille de Chine sont de moins en moins nombreux. Et ceux qui restent, une majorité d’entre eux, revendiquent les 35 heures, l’alignement pur et simple sur le monde salarial. Stupéfiant ! La galère pour les patients ! Et quand il n’y a plus de médecin au numéro que vous avez demandé, il reste une seule solution : les urgences de l’hôpital. C’est le serpent qui se mord la queue.

Pour susciter des vocations de médecin de campagne, nombre de communes ont investi massivement dans les maisons de santé. Services administratif communs, équipe médicales et para médicales sur le même plateau, loyers modérés, voire gratuits, la liste des avantages est impressionnante. Mais apparemment insuffisante ! Les médecins ne se pressent pas au portillon, sans parler des internes qui ont refusé tout net de consacrer une ou deux années de leur activité dans les zones dites en tension. Les médecins sont-ils coupables d’abus de position dominante ? Dans ce système libéral où toute organisation, toute répartition de l’effort, toute planification sont vécues comme une intolérable contrainte, la santé, comme dans une certaine mesure l’éducation, ne peuvent relever du seul bon vouloir de chacun. Faire société, c’est accepter des règles, s’inscrire dans un projet collectif qui comporte des contraintes mais offre aussi des compensations. Et quand l’individualisme consumériste refuse d’y prendre spontanément sa part, c’est à l’état de prendre la main, d’assumer son pouvoir régalien.