Moissac, 16 heures, mardi 3 novembre. La circulation est dense, les rues du centre-ville presque désertes, comme un jour ordinaire. Plusieurs chantiers, de voierie et sur les réseaux, ralentissent les véhicules çà et là. Le grand supermarché de la ville a emmailloté de plastique transparent quelques consoles, livres et babioles diverses. Les clients, aussi nombreux qu’à l’habitude, déambulent sans se presser, sans même prêter attention à ce changement tant il est discret. Chacun ici porte son masque, mais nombreux sont celles et ceux qui en entrant, contournent sans un regard, les flacons de gel hydro alcoolique mis pourtant à la disposition des chalands.
La ville est-elle confinée ? On peut en douter. Rien ne se passe comme au printemps dernier, quand la vie semblait s’être arrêtée dans un étrange silence qui rendait l’air presque palpable. Dès l’annonce par le gouvernement des mesures de ce nouveau confinement la semaine dernière, on a vite compris que le pays allait faire de la résistance. Les commentateurs ont d’abord mis ça sur le compte des retours des vacances de Toussaint, puis sur les petites tolérances concédées par les pouvoirs publics. Mais il faut bien se rendre à l’évidence, ici comme ailleurs, chacun semble prendre ses aises. Bien sûr, il y a ceux qui travaillent, l’activité économique ne s’est pas arrêtée, même si le télétravail est fortement encouragé partout où cela est possible. Bien sûr les écoles et les lycées fonctionnent normalement. Mais les petits commerces de centre-ville, qui devraient être fermés, n’ont pas baissé rideau, ils brillent même de tous leurs feux, histoire probablement de montrer qu’ils n’ont pas abdiqué.
C’est en effet le problème du jour ! Après les appels pour maintenir les librairies ouvertes et malgré la volonté réaffirmée du premier ministre de rien lâcher sur la question des boutiques, les arrêtés municipaux se sont multipliés. On a même vu la maire de Montauban promettre aux commerçants de payer sur les deniers publics les amendes qui leur seraient infligées, ce qui est illégal. Les premiers recours devant le Conseil d’Etat ont été déposés, une campagne politique et médiatique d’envergure met à mal le plan du gouvernement, sommé à toute heure du jour et de la nuit de s’expliquer, de justifier ses choix. A force de vouloir faire œuvre de pédagogie, de persuasion, il en vient même à trébucher, à presque oublier ses fondamentaux, témoin le couac, mardi matin, de son porte-parole.
Pendant ce temps, la Covid fait son œuvre. Les contaminations augmentent fortement et à proportion les admissions en réanimation, sans parler des morts, à l’hôpital et dans les EPHAD. Le confinement saison deux, il faut le rappeler, essaie de concilier deux objectifs : faire reculer l’épidémie et maintenir à flot l’économie. Difficile balance qui ne peut être tenue sans une adhésion totale, scrupuleuse de l’ensemble de la population, de tous les secteurs économiques et culturels et même cultuels qui commencent à se faire entendre meso voce.
Bref, ça rechigne de tous côtés, comme si les Français, mais le phénomène dépasse nos frontières, n’acceptaient plus de brider leurs désirs pour répondre aux impératifs de santé publique, comme si ce confinement moins strict qu’au printemps, les avait dissuadés de tout effort particulier et temporaire. Il est vrai que tout cela tombe mal, on est à quelques semaines de Noël. Inconsciemment ou non, les Français auraient-ils déjà choisis entre la lutte contre l’épidémie et leur mode de vie ? Entre la nécessité de ne pas laisser circuler le virus et l’envie de consommer, de sortir, de faire comme si de rien n’était ?
Cette posture serait lourde de conséquences. Des hôpitaux bientôt engorgés, obligés de trier entre pathologies ordinaires et Covid, des soignants mis dans une situation intenable et des morts, toujours plus nombreuses. Le gouvernement ne saurait se résoudre à accepter sans broncher cette pente fatale. Il doit protection à tous nos concitoyens à travers les mesures et les moyens qu’il se donne pour y parvenir. Ceux qui aujourd’hui revendiquent leur liberté et, faisant fi des aides que la collectivité leur consent, se dispensent de toute discipline collective, ne seront pas les derniers, demain, à le lui rappeler, y compris par voie judiciaire.
Oui les temps sont difficiles, et personne n’est à la fête, mais quand l’adversaire est aussi sournois, aussi puissant, il faut tenir le temps qu’il faut, ne pas lui ouvrir la moindre brèche, en rester à ses bonnes résolutions, en aidant les plus exposés, les plus faibles, les plus défavorisés à passer la période. En permettant à nos hôpitaux et à notre système de santé d’assurer leurs missions, pour gagner tous ensemble cette terrible bataille.