J’ai mis mon gros pull de laine aux couleurs mélangées, tricoté par ma grand-mère qui affectionnait le coin de la cheminée quand y brûlaient de lourdes bûches de chêne, j’ai chaussé mes pantoufles, de belles charentaises au tissus écossais achetées jadis sur le catalogue de la Redoute, par précaution j’ai même sorti d’une vieille armoire qui ne cache plus beaucoup de secrets un plaid d’un autre âge, histoire surtout de faire genre comme on disait dans les conversations de bistrot. Je me suis calé au fond d’un profond fauteuil un peu défraîchi pour penser là, tranquille, dans la petite pièce qui me sert de bureau, le thermomètre dans ma ligne de mire, surveillant la colonne de mercure afin qu’elle ne dépasse pas les 18 degrés. J’ai même failli enfiler de grosses moufles doublées en laine de mouton, et puis j’ai dû me raviser, difficile de taper sur un clavier avec pareil équipement. Alors foin de littérature, au diable cet air du temps qui nous somme de paraître nature au risque d’y prendre des couleurs Vichy!

Retour dans le monde réel. On nous adjure, on nous conjure sur tous les tons et dans tous les medias d’économiser l’électricité, de ne pas tirer sur le compteur à certaines heures, de baisser la température de nos petits chez nous, de participer à l’effort de guerre, en un mot d’être de bons citoyens, sous peine de sanction : la coupure de jus. Certains cherchent même à installer la peur. Ce refrain devient aussi lancinant qu’une rage de dents. Et à la moindre incartade, à la plus petite distraction, à la tentation de ne pas consentir à cette mise en demeure, on se sent coupable, montré du doigt, cloué au pilori par la vox dei. Sans compter, pour faire bonne mesure, que notre porte-monnaie crie misère devant les augmentations faramineuses des prix du kilowatt. Pourquoi, comment en est-on arrivé là ? D’où vient cette ambiance de bug de l’an 2000, cette apocalypse annoncée par toutes les Cassandres médiatiques?
Bon, il faut bien l’admettre, il y a cette foutue guerre d’Ukraine et le grand dérèglement du commerce mondial qui lui a aussitôt emboîté le pas. Avec une raréfaction de certaines ressources, son cortège de hausses, voire d’explosion des prix, de l’énergie, des denrées alimentaires et même des services chez qui on peine pourtant à voir la relation de cause à effet. Mais du marché noir de la France maréchaliste aux profiteurs de guerre mondialisés, il n’y a qu’une différence de moyens, alors que dans cette ambiance de fin… d’année, s’est invitée en France la question de l’électricité.
On passe sur le prix des carburants, les arabes amis de Poutine et qui en douterait, grands défenseurs de l’environnement, se sont mis d’accord pour limiter leur production de pétrole. Les Américains n’ont pas protesté, assurés de pouvoir vendre à très bon prix le leur à une Europe toujours en demande. L’Allemagne, naguère modèle à suivre pour les Verts français parce qu’ayant refusé le nucléaire, a tout à coup mesuré sa dépendance au gaz russe et au charbon maison, ce qui dans le domaine de la vertu écolo est hautement discutable. Pendant ce temps-là, les Gaulois dormaient sur leur deux oreilles, comptant sur une électricité abondante et qu’on leur disait être une des moins chères du monde. Ne vendait-on pas à toute l’Europe une partie de notre production ?
Il aura suffi d’un virus appelé Covid et de ce conflit à nos portes pour que le mirage s’évanouisse. Horreur et damnation, foi d’EDF et de quelques gouvernants, nous risquons de manquer de courant, de nous les geler cet hiver, de condamner à mort nos vieux, nos malades, nos chats aussi, soudain privés de la chaleur du radiateur. L’apocalypse quoi ! Depuis des mois, on voyait bien du côté de Golfech que quelque chose ne tournait pas rond. « Ça ne fume plus » comme disent les gens du coin. Un réacteur à l’arrêt, la panne, la grande panne dont on apprend tout à coup qu’elle affecte la moitié de notre parc national. En cause, des soudures défaillantes, des réacteurs vieillissants ! Pas de doute là-dessus. Mais qu’a fait notre entreprise nationale depuis deux ans ? Comment explique-t-elle cette situation critique que tout le monde a feint de découvrir à la fin de l’été ? Les travaux de maintenance, les grands carénages n’arrivent pourtant pas comme une colique. Ça se programme, se planifie. Le management d’EDF aurait-il été défaillant ? Il faut peut-être chercher du côté des ressources humaines, quand dans bien des entreprises, cols blancs mais aussi une partie des cols bleus se mettaient au télétravail. Difficile dès lors de réparer une chaudière, d’autant que les sous-traitants avaient à leur tour déserté les chantiers. Faudrait-il ajouter à cette parenthèse, le climat social quand pour un oui ou un non, le principal syndicat appelle à la grève, menace les clients de coupures ? En termes de mobilisation générale, on doit pouvoir mieux faire.
Mais le malaise vient de plus loin, du plus profond de la société française et de sa représentation politique. Les Verts ont pendant des années dénoncé le nucléaire et ses dangers, qui sont bien réels, refusant d’admettre qu’il constituait cependant pour la France un atout précieux, au sein d’un mix énergétique en construction. Peu à peu, ce discours, massivement relayé par les médias, a infusé dans l’opinion. Les politiques, de Sarkozy à Hollande n’y sont pas restés insensibles, laissant un des fleurons de notre technologie s’étioler lentement. Macron lui-même a fermé la centrale de Fessenheim au début de son premier mandat. On connaît le résultat : fuite des cerveaux, perte de savoir-faire et carence généralisée de l’appareil de production, obligé aujourd’hui d’embaucher des soudeurs américains. Quel gâchis !
Le nucléaire est la plus belle illustration de la schizophrénie française, d’un pays incapable de faire des choix, voulant tout à la fois ne rien perdre de ses avantages, de son confort et refusant une technologie indispensable à une transition énergétique réussie. Il en va un peu pareil aujourd’hui avec les éoliennes, accusées, y compris par certains écolos, de détruire les paysages et la biodiversité, et même de faire entrer dans leur pré carré un capitalisme honni. Il n’est hélas plus temps de tergiverser, de finasser avec le projet de loi sur le renouvelable. A trop s’y complaire, la politique deviendrait détestable. Il est plus que temps de doter la France d’un plan, contraignant, pour le nucléaire comme pour les autres énergies décarbonnées, nous assurant une souveraineté énergétique nécessaire à l’économie et à l’ensemble des citoyens. Il faut certes aller vers une certaine sobriété énergétique, mettre en place les technologies permettant une meilleure maîtrise de nos consommations, mais il ne faut pas perdre de vue, que la trottinette, la voiture électriques, les machines-outils, les robots, sans parler du numérique et de tous ses usages, y compris individuels, sollicitent chaque jour un peu plus le réseau. Et sauf à fermer les yeux sur ce qui se passe chez nos voisins, on ne pourra pas impunément solliciter leur aide. Comme dit le proverbe : « aide toi, le ciel t’aidera ».
Je viens de consulter par acquis de conscience l’application Ecowatt. Pas d’alerte pour les jours à venir. Je ne suis donc pas allé au supermarché acheter un générateur au fuel. C’est autant de gagné pour la planète. La fin du monde n’est pas encore pour demain.